PARIS (AFP) - "Les hommes prudents sont des infirmes": cette phrase de Jacques Brel, dont sera célébrer le 9 octobre le 30e anniversaire de la mort, résume le parcours de celui qui reste l'un des plus grands noms de la chanson francophone et le modèle de l'artiste excessif sur scène.
"Ne me quitte pas", "Amsterdam", "Ces gens-là", "Mathilde", "Les vieux"... Brel, ce sont d'abord des chansons devenues des monuments du patrimoine francophone et dont les textes frappent encore aujourd'hui par leur justesse et leur violence.
Brel, c'est aussi une image. Celle d'un artiste qui semblait se consumer sur scène, comme si sa vie en dépendait, et habitait ses personnages, gestes théâtraux et visage en sueur.
Il a marqué son époque et les suivantes, de jeunes artistes se réclamant aujourd'hui de son influence, tel le rappeur Abd al Malik qui travaille avec son ancien pianiste (et mari de Juliette Gréco), Gérard Jouannest.
Le chanteur belge est mort le 9 octobre 1978 à 49 ans d'un cancer du poumon à Bobigny, près de Paris. Il avait regagné la métropole l'été précédent depuis la Polynésie, suivant enfin l'avis des médecins.
Bien qu'il eût arrêté la scène le 16 mai 1967 à Roubaix (nord), il était toujours populaire. Et le mystère qui entourait sa retraite aux Marquises n'avait fait qu'aviver la curiosité du public.
A l'automne 1977, après 11 ans de silence discographique, il avait enregistré un dernier album. Le disque ("Les Marquises") paraît le 17 novembre, avec un record d'un million de précommandes. Il s'en écoule 300.000 dans l'heure qui suit la mise en vente.
Né Jacques Romain Georges Brel le 8 avril 1929 à Schaerbeek, ce fils de la bourgeoisie de Bruxelles abandonne la cartonnerie familiale à la vingtaine passée pour tenter sa chance dans les cabarets.
Il débute à La rose noire en 1952 puis enregistre un disque chez Philips-Bruxelles. Le producteur parisien Jacques Canetti l'auditionne en 1953 et lui conseille de participer au festival de Knokke-le-Zoute. Il s'y classe dernier.
Le vent tourne lorsque Juliette Gréco crée sa chanson "Ca va (le diable)". En juillet 1954, première partie de Billy Eckstine et Damia à l'Olympia, à Paris. Un critique commente: "Il écrit de belles chansons, le regrettable est qu'il persiste à les interpréter". En septembre 1956, premier succès, "Quand on n'a que l'amour".
En septembre 1959, il sort un disque où figurent trois classiques: "Ne me quitte pas", "La valse à mille temps" et "Les Flamandes". A la fin de l'année, il est tête d'affiche à Bobino.
Dans les années 60, Brel passe son temps en tournée: 250 à 300 galas par an. Il ne cèdera jamais à la tradition du rappel, qu'il juge démagogique. Il n'enfreint sa règle qu'une fois, à Moscou, où on lui fait comprendre que le public prendrait son refus comme un affront.
A l'été 1966, sa décision d'arrêter est prise. Il ne l'annoncera que lors de ses adieux à l'Olympia, le 1er novembre.
Passionné de bateaux et d'avions, Brel fait aussi du cinéma, comme acteur ("L'emmerdeur" d'Edouard Molinaro, avec Lino Ventura, en 1973, sera son plus gros succès) et réalisateur ("Franz" et "Le Far West"). S'il remonte sur les planches le 4 octobre 1968 à Bruxelles, c'est pour se glisser dans la peau de Don Quichotte, dans "L'homme de la Mancha", spectacle musical ensuite monté à Paris.
A l'automne 1974, alors qu'il entreprend la traversée de l'Atlantique en bateau, les médecins diagnostiquent le cancer qui l'emportera après quatre ans de lutte. Il est enterré le 14 octobre 1978 au cimetière d'Atuona aux Marquises, non loin de la tombe de Paul Gauguin